Je m'adresse spécialement à mes anciens camarades de Rennes, qui se reconnaîtront. Vous avez eu avant-hier, au cours de cette journée mémorable et délicieuse, la primeur de la fable Les Deux Taupes dont je vous dédie le texte en vous remerciant de l'avoir apprécié...

Bien qu'ayant creusé sous la même prairie
D'interminables galeries,
Deux taupes avaient établi leur coucher
En des lieux très rapprochés.
Il suffit d'un faux mouvement
Pour qu'un infime éboulement
Crée entre les deux habitations
Un moyen de communication.
Mais plutôt que de le reboucher,
Les taupes s'en servirent pour échanger
Racines sucrées et tendres graines
Seuls agréments de leur vie souterraine.
Quand un jour, au lieu de nourriture,
L'une d'elle eut l'idée de jeter ses ordures
Par le passage providentiel,
La matière excrémentielle
Eut vite fait d'obstruer l'interstice
Mettant fin au commerce entre les deux complices.

C'est étonnant de voir comment l'humanité
Qui vit à ciel ouvert et en pleine clarté
Ne dispose pourtant que de pauvres fenêtres
Pour communiquer entre deux êtres.
Tant que l'échange plaît à celui qui reçoit,
Le passage ne semble jamais trop étroit
Mais dès lors que les mots ont l'aspect du déchet,
Ces fenêtres sont aussitôt bouchées.
Prenez donc soin, humains, de fleurir vos paroles,
De les faire plaisantes ou de les rendre drôles
Ou sinon, très bientôt, vous parlerez aux murs
Et vivrez, comme taupes, en des tunnels obscurs.

Pierre Ruaud, 2010.

Ce texte est extrait d'un recueil de 25 fables en attente d'éditeur.